ç'a été son élément. ça l'était il y a encore quelques mois, ce son à vous rendre sourd, ce contact permanent qui créée un lien, une vibration commune à tous les spectateurs. les éclaboussures de bière, les ovations. les moments d'alchimie entre la scène et la fosse, les artistes et leur public, le public entre lui, tout ceci dans une douce brume hypnotisante, causée par bien des moyens. la fosse, billie ne la ressent plus comme avant. actuellement, elle qui ne boit plus vraiment, sent juste une oppression, une sorte d'étouffement additionnée à une sensation moite, sans doute procurée par le contact avec les autres. les basses répétées lui font bourdonner la tête, et elle se demande comment elle s'est retrouvée ici, seule, à assister au concert d'un groupe qu'elle ne connaît pas. certes, les artistes sont tout sauf désagréables à contempler. leurs t-shirts se trouvent d'ailleurs d'ores et déjà quelque part dans la foule, ce qui n'est pas pour déplaire. pour ce qui est de la musique cependant, la jeune femme ne parvient pas à se focaliser. il fait trop chaud, dans cette foutue fosse. billie, elle tente de reculer, de s'extraire d'ici. elle se souvient avoir entendu un bruit jovial, entraînant en sortant de son service au café de la petite ville du haras. comme la curieuse qu'elle est, il a bien fallu qu'elle mette les pieds ici. bref, elle joue des coudes, la gosse. mais visiblement, comble de malchance, la voilà entraînée dans un pogo bordélique. elle se sent emportée, et lorsqu'elle regarde le sol, ses pieds ne touchent plus par terre. voilà, la situation n'est plus contrôlée. billie, elle s'accroche à la première personne à proximité, une victime, comme elle, d'un pogo trop déchaîné. elle tente de lui crier "comment on descend de là?!" sans garantie que la blonde prisonnière du mouvement de foule ait pu l'entendre.

tu as juste loupé ton bus. deux petites minutes de retard, ce coiffeur a seulement mit deux minutes de trop, et te voilà bloquée en ville. il est maintenant 20:30 et ton ventre crie famine. le dernier bus est à 22:45, et tu ne sais pas quoi faire en attendant l'heure fatidique du retour. la nuit sera courte, tu travailles tôt demain. comme tous les matins. le petit air frais sur ta peau est agréable et te fait légèrement frissonner. tu rabats la capuche de ton sweat sur ta tête et tu allumes une cigarette. tu entends un fond musical au loin, tes pieds t'y dirigent instinctivement.

tu ne pensais pas te retrouver au milieu d'un troupeau de sauvages, se sautant dessus, hurlant, reversant leurs verres partout, avec une musique agressive. tu es loin d'être dans ton éléments, jolie blonde. bon nombre de sachets parcourent la foule, certains vomissent pas loin, d'autres se font presque écraser. et toi, tu te retrouves face à une brunette, tes pieds ne sont plus accrocher au sol, et cette brunette s'accroche à toi. elle a l'air plus à l'aise mais tout de même désemparée. vous voilà donc un point commun. vous devez fuir de cette horrible fête bien loin des fêtes de chez toi. "j'en sais rien mais j'veux m'casser de là" tu commences à t'agacer, tu veux juste rentrer au haras et dormir.

billie regarde tout autour, à la recherche d'une issue. visiblement, il va falloir s'imposer, aussi frêles qu'elles soient. les deux intrus se regardent d'un air impuissant, puis la blonde à laquelle s'accroche billie lance d'un ton sans appel son intention de quitter les lieux sans plus attendre. "faisons ça", lance la brune. billie, les fêtes elle en a déjà fait des tonnes. elle connaît quelques trucs. ici, pas d'échappatoire par la voie terrestre.

"viens, on va s'envoler", elle lance comme une illuminée, l'esprit joueur en n'importe quelle circonstance. et la voilà qui commence à grimper sur les épaules d'un type. de toute façon ses pieds ne touchaient pas par terre de base, elle ne fait que s'élever encore plus, la grande gamine. elle s'étale de tout son long sur les mains qui, habituées des événements tumultueux, deviennent les supports d'un nouveau jeu. billie tire la blonde inconnue qui bientôt, emportée par l’événement bel et bien lancé, se retrouve elle aussi transportée par des centaines de mains.

billie ferme les yeux, tend les bras. elle qui se sentait coincée il y a à peine quelques minutes, ressent de nouveau ces émotions tellement exaltantes. un sourire, un vrai, s'installe sur ses lèvres. elle crie, en direction de sa camarade d'échappatoire "on vooole ! le voyage te plaît?" elle ne sait pas vraiment si la blonde apprécie ou non. toujours est-il qu'elles ne peuvent contrôler leur trajectoire, et la main de billie se met soudain à toucher une surface dure. au lieu du contact humain des mains qui la soutenaient, c'est maintenant un sol dur, et qui vibre au son de la musique. regardant à droite, à gauche, la brune aperçoit que la blonde a échoué à côté d'elle. puis billie se redresse et regarde derrière elle. il se pourrait bien -éventuellement-, que les deux soient sur scène, à quelques pas des chanteurs. billie ne serait pas contre un moment d'amusement. mais sans une seule goutte d'alcool dans le sang, tenter une chose comme ça lui semble un peu plus difficile. toujours est-il qu'elle ne sera pas dure à convaincre. elle jette un regard vers sa nouvelle camarade, l'air de demander l'autorisation de s'amuser.

il lui a suffit d'entendre cette courte réplique pour répondre "pareil, il me faut un verre". mais elle angoisse au fond d'elle, billie. si elle a stoppé les hauts degrés, c'est bien parce que la dernière fois qu'elle s'est laissée entraîner, la nuit a très mal fini. elle a d'ailleurs été sur le point de ne jamais s'achever. elle hésite billie, tentée par le diable. elle jette un oeil à la blonde, qui n'en mène pas large non plus, à un ou deux mètres de là.

puis elle se dit qu'elle a bien le droit de s'amuser, ici, dans cet endroit paumé et pas si connu. une ville annexe d'un haras, personne n'a jamais vu ça. qui pourra bien crier sur tous les toits les exploits de billie dans un festival inconnu ? la brunette se laisse tenter, et lance un immense sourire à son acolyte du soir. elle veut rire jusqu'aux éclats, danser jusqu'à ne plus penser, et demain avoir (presque) tout oublié. et pourquoi pas, recommencer.

se déplaçant au rythme de la musique, la voilà qui emprunte le petit cocktail bien corsé d'un musicien, et d'un clin d’œil, le vide à moitié. elle envoie la bouteille à la blonde. "il est tout à toi ! " la soirée peut enfin commencer. elle n'avait pas prévu de se retrouver ici, encore moins sur une scène devant des milliers de prunelles explosées. mais finalement, à bien regarder les musiciens et à commencer à sentir en elle une douce inconscience monter, elle sent qu'elle ne va pas s'ennuyer, billie. elle revient en dansant vers la blonde, et se lance en mode soirée.